ALAMKARA-SASTRA

ALAMKARA-SASTRA
ALAMKARA-SASTRA

Le terme ala ュk ra- ご stra , littéralement «enseignement des ornements», désigne, en fait, l’art poétique sanskrit en général. Outre l’étude des figures de style, cette branche importante de la scolastique sanskrite comprend une esthétique de la poésie, une psychologie à l’usage de la littérature, une méthode de critique littéraire, et quelques sujets adventices utiles au poète.

Formation d’un art poétique sanskrit

Si les plus anciennes œuvres littéraires que nous connaissons semblent bien attester une connaissance consciente de la structure de nombreuses figures, et supposer l’ébauche d’un art poétique, ce n’est qu’après la pleine floraison de la poésie raffinée que l’on voit s’imposer des ouvrages de poétique, soit vers le VIIe siècle de l’ère chrétienne. Les premiers auteurs que nous connaissions sont Bh maha, Dandin, V mana, Udbha レa, Rudra レa, du VIIe au IXe siècle. Leurs traités portent principalement sur les figures, mais contiennent aussi de nombreux conseils aux poètes, attirant leur attention sur des points de logique ou de grammaire. Quelques notions générales sont dégagées, entre autres la vakrokti («énonciation courbe») où l’on voit l’ornement poétique par excellence, le mode indirect d’expression qui est «la vie» de la poésie.

Avec nandavardhana et son Dhvany loka (IXe siècle), la poétique fait un grand pas, à l’apparition de l’idée maîtresse qu’est le dhvani , la suggestion poétique. Vers la même époque, une première synthèse, qui coordonne les analyses particulières des anciens et les nouvelles notions générales, est due à Mamma レa. Dès lors, la production devient très abondante, et une école très florissante se forme au Cachemire (Xe-XIe siècle), sous l’inspiration du grand docteur shivaïte bhinavagupta. La théorie du dhvani est longuement commentée, renforcée ou discutée. Les noms les plus marquants sont ceux de Bha an yaka, Bha endur ja, Kuntaka, Ruyyaka, Mahimabha a, Jayaratha, etc. Au XIe siècle aussi, mais dans une autre région, dans l’Inde centrale, est faite une autre synthèse magistrale et très originale, le え リ face="EU Updot" 臘g raprak ごa attribué au roi Bhoja de Dh r .

Par la suite, du XIIe siècle jusqu’à nos jours, on trouve surtout des manuels, des compilations et des commentaires, production riche, mais qui, au premier abord, ne semble pas apporter de nouveaux enseignements d’importance. Cependant, cette stagnation n’est peut-être qu’apparente, car, si l’on voit réapparaître sans cesse les mêmes notions et la même ordonnance générale des matières, l’on note aussi un progrès considérable dans l’analyse du détail, dans la précision des définitions, des classifications, dans la disquisition des concepts, et une application infatigable de l’intelligence à parfaire la présentation logique.

Si l’histoire de la théorie du dhvani s’arrête à peu de choses près avec Abhinavagupta et Mahimabha a, celle des figures de style (c’est-à-dire de l’analyse de leur structure logique, de leurs différences, du charme qu’elles engendrent) s’est poursuivie toujours vivante pendant toute cette période. Les étapes les plus marquantes sont les ouvrages de Hemacandra (XIIe), V gbha レa (XIIIe), Vidy n tha et Kum rasv min (XIVe), Appayya D 稜k ルita (XVIe), R jac ボ ma ユi D 稜k ルita et Jagann tha (XVIIe), N goj 稜bha a (XVIIIe), K リルユabrahmatantra Parak lasv min, auteur d’un Ala ュk rama ユih ra (XIXe), etc.

Enfin la poétique prit une nouvelle forme, sous l’impulsion religieuse du mouvement de la bhakti , sa psychologie amoureuse (la théorie du rasa ), par exemple, étant transposée du monde profane sur le plan spirituel, à l’usage des bhakta , mystiques poètes qui faisaient dialoguer l’âme avec la divinité à la façon des amants de ce monde [cf. BRAHMANISME]. Le développement le plus remarquable de cette nouvelle direction eut lieu dans l’école de Caitanya, avec notamment l’Ujjvalan 稜lama ユi de R pagosv min.

L’art de la suggestion poétique

La théorie du dhvani commande toute la pensée des poéticiens. Le dhvani (littéralement «son») désigne chez eux la résonance de sens ou la résonance affective issue du sens premier des mots du poème. Le mot a, par lui-même, plusieurs modes, plusieurs pouvoirs d’exprimer un sens. Le premier est le mode direct appelé abhidh , par lequel le mot donne son sens lexical. Le second est un mode indirect appelé lak ルa ユ , notion par laquelle on rend compte, en particulier, de la métaphore. Dans la lak ルa ユ , le mot exprime d’abord son sens premier, puis, en raison de l’inapplicabilité de ce sens au contexte, en exprime un autre lié au premier par une relation bien connue. Si la relation est une similarité, l’on a une métaphore; quand le poète parle de «la lune qu’est le visage d’une jolie femme», il y a inapplicabilité du sens d’«astre» au mot «lune» qui fait alors entendre le sens d’«objet semblable à la lune». Dans ce schéma, les théoriciens dégagent encore une autre notion, celle de surimposition d’un objet sur un autre, notion qui leur servira à analyser de nombreuses figures. Enfin, en examinant la structure de la lak ルa ユ , ils ont remarqué qu’en employant ce mode détourné d’expression à la place du mode direct, on ajoutait quelque chose. Dire, en effet, «une hutte sur le Gange» n’est pas la même chose que dire «une hutte sur le bord du Gange», parce que l’emploi, à la place de «rive du Gange», du mot «Gange» qui désigne la rivière sainte et purificatrice par excellence impose cette idée de sainteté et de pureté à l’esprit, et l’attache directement à la hutte. Un troisième sens, à savoir que «la hutte est sainte et pure», s’est donc formé ici.

Pour rendre compte de ce phénomène, les théoriciens ont postulé un troisième pouvoir d’expression du mot, pouvoir qu’ils appellent vyañjan (littéralement «manifestation» ou «suggestion»). C’est ce pouvoir de suggérer qui engendre le dhvani , le sens poétique par excellence. Partie de ce principe, la théorie du dhvani comporte une analyse très fine de toutes les possibilités de suggestion et une classification élaborée (51 variétés de base, 5 304 variétés mixtes). Elle a aussi à se justifier et se défendre contre des tentatives de réduction de la notion de suggestion à un mécanisme de réflexion, voire à une inférence ou à un autre procédé logique. Le point remarquable est le souci qu’ont les poéticiens de montrer l’originalité et l’autonomie de l’activité de l’esprit par laquelle apparaît le sens poétique. On n’accède pas à la poésie comme on accède à toute autre pensée, et l’activité poétique n’en a pas moins de rigueur.

Une psychologie de l’émotion esthétique

Le premier prolongement de la théorie du dhvani est celle du rasa , de l’émotion esthétique. On distingue deux variétés de suggestion. L’une fait passer d’un sens à un autre sens par un mécanisme perceptible. Une autre, immédiate, ne mène pas à un autre sens, mais crée un état émotionnel et un plaisir esthétique chez le lecteur. C’est cet état et ce plaisir qui sont désignés par le terme de rasa (littéralement «saveur»). On rend compte par là du phénomène de participation au théâtre. Le spectateur sensible s’identifie au héros, éprouve les mêmes émotions, mais ces émotions sont chez lui un plaisir. Le rasa suggéré est le sens ultime du texte poétique. Plaisir esthétique, il est coloré par l’état émotionnel qui le provoque. Les théoriciens ont donc établi une classification de divers rasa , selon les types d’états émotionnels décrits par les poètes. On les ramène généralement au nombre de neuf: amour, rire, tristesse, fureur, enthousiasme, peur, dégoût, émerveillement, apaisement intérieur. On distingue des états dominants (sth yibh va ), passagers (vyabhic ribh va ), des conditions d’éveil de ces états (vibh va ), des signes extérieurs qu’ils provoquent (anubh va ) parmi lesquels certains sont susceptibles de se communiquer au spectateur (s ttvikabh va , larmes, frisson, etc.), soit cinq constituants du rasa. Ceci est le départ de toute une psychologie littéraire dans laquelle, comme dans toute littérature, la part principale est donnée au sentiment amoureux et à l’héroïsme.

L’analyse des figures de style

La troisième section importante de l’ala ュk ra- ご stra est l’analyse des figures, appelées ala ュk ra (littéralement «ornements»). L’analyse est d’abord fondée sur la théorie des trois pouvoirs d’expression du mot. La comparaison est mère d’un grand nombre de figures. Sous sa première forme, appelée upam , elle procède par l’expression directe: le terme d’upam est réservé au seul cas où un mot exprime explicitement l’idée de similarité. La métaphore se différencie de l’upam en ce qu’elle repose sur la lak ルa ユ définie plus haut.

En analysant la notion de surimposition tirée de la lak ルa ユ , les théoriciens ont défini quelques-uns des ornements les plus importants. Ils distinguent d’abord la surimposition qui est réalisée par une simple apposition ( ropa ): l’œil-lotus, le visage-lune, etc., ornement dénommé r paka. Une autre forme de la surimposition est celle qui omet de mentionner le terme figuré (adhyavas ya : «assimilation»): on dit «la lune» en parlant du visage, sans mentionner celui-ci. Ici une nouvelle distinction apparaît: le poète peut laisser voir dans son texte qu’il effectue une surimposition, en disant, par exemple: «C’est, je suppose, la lune», ce qui est l’ornement utprek ル («supposition montrée comme telle»); il peut aussi le cacher, ou du moins s’abstenir de le montrer, en disant: «Voici la lune», c’est alors l’ornement ati ごayokti («exagération»).

Quelques ornements ne peuvent s’expliquer ni par l’expression directe, ni par la lak ルa ユ . On recourt alors à la suggestion: par exemple le parikara consiste à charger d’une même intention à suggérer une série de qualificatifs d’un objet. Au début de l’histoire de l’ala ュk ra- ご stra , on compte trente-neuf ornements chez Bhamaha; à la fin on en compte cent vingt-deux, sans compter les sous-variétés, dans l’Ala ュk rama ユih ra. Toutes les ressources de la scolastique, grammaire, logique et m 稜m ュs auront été utilisées. L’analyse des structures logiques de figures voisines aura suscité de longues recherches d’un critère de distinction. Enfin, point important, il fallait aussi montrer comment un simple schéma logique était un ornement, source d’un charme poétique.

Essais pour une critique littéraire

Reste à mentionner deux sections de l’ala ュk ra- ご stra , qui ont généralement prêté à de moins longs développements, les défauts et les qualités, ces dernières combinées entre elles formant des styles (r 稜ti ). Deux directions des recherches apparaissent, soit que les théoriciens procèdent par une appréciation subjective, soit qu’ils cherchent à établir un critère matériel, quand ils définissent une qualité ou un défaut. Par exemple, la qualité ojas luxuriance») sera définie par les uns comme une impression de densité créée par le texte, par d’autres comme l’abondance de composés. L’intérêt de ces deux sections est qu’elles nous livrent de précieuses observations de vocabulaire, de phraséologie ou de grammaire, qu’elles nous font voir ce qu’était le goût des poètes, qu’elles forment l’ébauche d’une méthode de critique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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